2008年4月12日 星期六

世界报:火苗跌跌撞撞的一天

Le jour où la flamme a vacillé
LE MONDE 12.04.08 14h39 • Mis à jour le 12.04.08 14h39

Une flamme olympique, c'est comme un président, un prince, ou plutôt une reine. Tel est le mot d'ordre à la préfecture de police de Paris : "La protéger comme un chef d'Etat." Elle atterrit à Roissy dimanche 6 avril, puis dort paisiblement à l'Hôtel Méridien de la place de l'Etoile. Une bonne nuit de sommeil avant les 28 km prévus, le lendemain, sur le parcours parisien âprement négocié entre autorités chinoises et françaises.

Des policiers en rollers pour faire "ludique et sportif". Pas moins de trois réunions de "bouclage" ont été nécessaires. En vertu d'un "accord sur les services du relais" signé en 2007, le Comité olympique chinois est seul responsable du parcours et de la sécurité de la flamme. Il faut donc faire assaut de diplomatie. Le nouvel ambassadeur de Chine en France, qui fut stagiaire de l'ENA, a réclamé l'interdiction des manifestations. "Impossible, répond la préfecture de police, en France, une simple déclaration suffit." Trente unités mobiles sont prévues, et seize policiers en rollers, pour "faire ludique et sportif". Un véhicule avec un aimant est même réquisitionné, afin de ramasser des clous inopportuns...

Une "bible" d'une cinquantaine de pages est préparée pour l'événement qui fait intervenir 80 coureurs et 160 escorteurs. Tout y est consigné, y compris les manifestations les plus improbables : celles des démocrates birmans, des représentants des Ouïgours, de la communauté tibétaine de France et ses amis... Est-ce parce qu'ils ne demandent jamais d'autorisation ? Les activistes de Reporters sans frontières (RSF) ne figurent pas sur la liste.

Bernard Kouchner isolé. Le 25 mars, Nicolas Sarkozy a rendu publique sa ligne sur les JO : il n'exclut pas de "boycotter" la cérémonie d'ouverture, mais espère des signes de Pékin. Il sait qu'en août il sera président de l'Union européenne, et veut donner le "la" aux "27". Le même soir, au cinéma MK2 Bercy, avant la projection du portrait réalisé par Serge July de Daniel Cohn-Bendit, ce dernier lance en introduction : "L'esprit de Mai 68, aujourd'hui ? C'est foutre le bordel avant et pendant les JO de Pékin." Quand les lumières se rallument, Bernard Kouchner confie à son ami "Dany" : "C'est difficile, je me bats."

Le lendemain, au conseil des ministres, où Rama Yade n'a pas été conviée, il est le seul à plaider pour le boycottage de la cérémonie d'ouverture. Dans l'entourage de la secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, on dit que c'est autour de Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique de l'Elysée, que s'organise la réflexion. "Ils ne veulent pas se fâcher avec la Chine, et ils sont entourés de sinologues."

"L'homme à la queue de cheval". La flamme a rejoint la tour Eiffel à 11 h 30. Une cérémonie est prévue dans les salons, avant que Stéphane Diagana ne s'élance avec elle dans Paris. Dans l'assemblée, un des responsables de l'ambassade de Chine repère "un monsieur à queue de cheval et à long manteau noir" et le désigne discrètement à ses hommes. Bien vu. Un peu plus tard, le conseiller Vert de Paris, Sylvain Garrel, le catogan en bataille, se jette sur les escorteurs en hurlant : "Troupes chinoises hors du Tibet !" L'inquiétude commence à se lire dans les yeux des officiels asiatiques. Au sous-sol de la préfecture de police, on réalise tout à coup ce qui se joue. Ce n'est pas le Tour de France : les sportifs et la flamme ne seront pas applaudis. Et les manifestants-citoyens forment beaucoup plus de monde que prévu.

Daniel Bilalian et les sponsors. Officiellement, les sponsors font bonne figure. Ce sont eux pourtant qui avaient milité pour un parcours le plus long possible. Deux jours avant le défilé, le directeur de la communication de Coca-Cola France a rencontré Robert Ménard, le patron de RSF : il sait que, le 16 avril, l'ONG, actionnaire de tous les sponsors des JO, se rendra à leur assemblée générale, près de Washington. France 2, qui a dépensé 45 millions d'euros pour la retransmission des Jeux, ne cache pas sa déception. La flamme devait s'arrêter devant l'immeuble de la chaîne, à 13 heures, pour le "JT". Les échauffourées qui ont précédé ont rendu l'étape impossible. Seul sur un banc, Daniel Bilalian soupire bruyamment.

David Douillet et le "robot". Sur le tapis rouge s'élance la silhouette massive de David Douillet. Mais voilà qu'un des "hommes en bleu" de la brigade chinoise chargée de protéger la flamme, qui ne parle pas français, saisit sa torche et éteint la flamme. Stupeur, protestations... L'ex-judoka, furieux, s'en va passer sa colère sur les radios. "Ils éteignent la flamme alors qu'il n'y a aucun risque." Ils ? Les hommes en bleu, "si on peut appeler ça des hommes, moi j'appellerais plutôt ça des robots, des chiens de garde."

"Fini. on rentre". Le directeur du cabinet du préfet de police de Paris, Christian Lambert, fait voiture officielle commune avec le numéro deux de l'ambassade chinoise à Paris. Etrange ambiance : chacun converse dans son téléphone et dans sa langue natale. Sur leur propre réseau de fréquences, les Chinois donnent des ordres aux relayeurs. Les voilà à l'Hôtel de Ville, où une halte de vingt minutes a été prévue. La banderole tendue sur le fronton, "Paris dit oui aux droits de l'homme partout dans le monde", ne semble pas trop gêner les Chinois. Le trouble-fête Robert Ménard avait d'ailleurs critiqué le "manque de courage du maire".

Las ! Les Chinois repèrent un drapeau tibétain et, au balcon, neuf élus Verts, emmenés par Denis Baupin. L'ambassadeur boude et reste dans sa voiture : "Partons, nous ne voulons pas descendre." Christian Lambert s'y oppose : "Nous ne partirons pas avant d'avoir pris contact avec le maire et l'intérieur. Nous sommes sur le territoire français." D'un geste de l'index, l'ambassadeur fait remonter tout le monde en voiture, direction Charléty, terminus de la promenade. "La flamme olympique n'a pas été éteinte", se réjouissent les officiels chinois. Au cocktail de clôture, ils trinquent seuls, entre eux.

Les 14 survêtements des sapeurs-pompiers. La journée s'est mal passée pour les pompiers de Paris. Dès 16 h 50, le sapeur Varennes vient déposer une plainte dont la préfecture de police se serait bien passée : "Pendant tout le trajet, des sapeurs-pompiers ont été victimes de dégradations sur leurs survêtements (manches arrachées, taches), le bus qui suivait la flamme a également été abîmé." Les 14 survêtements qui n'ont pas résisté à la journée seront remboursés.

19 heures, au ministère de l'intérieur, réunion avec MAM. Toute la journée, Michèle Alliot-Marie a été tenue au courant des événements. Elle n'a pas reçu de coup de fil de remontrance de Nicolas Sarkozy. Le ministre de l'intérieur épargne le préfet de police, Michel Gaudin, lui demandant seulement "de se rendre à l'hôpital pour prendre des nouvelles" du cameraman de France 2, Bruno Girodon, blessé lors de la manifestation. Trop tard : quand il arrive, le blessé est déjà sorti. L'inspection générale des services recueille la déclaration du policier impliqué : "J'ai repoussé à mains nues un cameraman qui refusait de regagner le trottoir (...). Ce dernier est revenu sur moi et m'a asséné un violent coup à hauteur du nez avec sa caméra." On attend l'autre version.

Il faut également tirer au clair l'histoire des drapeaux tibétains retirés aux manifestants par la police française. Aucune consigne n'avait été donnée en ce sens, mais les ordres étaient stricts : "Repousser fermement les manifestants, maintenir sur place les plus virulents, saisir les fumigènes et les drapeaux prévus pour attaquer le dispositif ou éteindre la flamme." Place Beauvau, des policiers et responsables s'inquiètent plus discrètement : n'importe qui peut donc, comme l'a fait Robert Ménard, escalader Notre-Dame ? Ils se donnent des frissons en pensant aux "terroristes d'Al-Qaida".

Jin Jing, une héroïne chinoise. Jeudi, la Chine s'est trouvé une nouvelle héroïne : Jin Jing, la jeune escrimeuse paralympique de 27 ans, qui, dans son fauteuil roulant, à Paris, a défendu la flamme contre les manifestants protibétains. A l'aéroport de Pékin, elle raconte : "C'était vraiment le bazar." D'un coup, elle a vu "trois, quatre indépendantistes tibétains. Mon premier réflexe a été de courber la tête et d'utiliser mon corps pour protéger la torche. J'ai juste pensé : je ne vais pas laisser ces indépendantistes me prendre la torche, même si je dois lutter jusqu'à la mort. N'importe quel Chinois l'aurait fait à ma place".

Pagaille européenne. Le 8 avril, à Cahors, Nicolas Sarkozy répète que "c'est en fonction de la reprise du dialogue" entre Pékin et le dalaï-lama que la France décidera de boycotter ou non la cérémonie d'ouverture des Jeux. Mais un peu partout des voix s'élèvent. La chancelière allemande Angela Merkel snobera cette cérémonie. Le premier ministre britannique, Gordon Brown, assure qu'il n'avait jamais prévu de se rendre à Pékin le 8 août. Jeudi, les députés européens votent une motion appelant les 27 à ne pas se rendre au stade olympique, le 8 août.

En France, le député (UMP) Lionnel Luca, président du groupe d'études sur le Tibet à l'Assemblée nationale, écrit au président de la République : "Je suis prof d'histoire-géo, et je parle à mes élèves des JO de Berlin. Attention à l'effet d'image." Un sondage LCI-Opinion Way publié vendredi par Le Figaro confirme que 67 % des Français souhaitent que la France n'envoie pas de délégation officielle à la cérémonie d'ouverture, et que 61 % d'entre eux approuvent les manifestations du 7 avril à Paris.

Ariane Chemin, Gérard Davet
Article paru dans l'édition du 13.04.08.

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