LE MONDE 24.04.08 13h06 • Mis à jour le 24.04.08 15h22
AP/Andy Wong
Un étudiant de l'Institut technologique de Pékin
Un étudiant de l'Institut technologique de Pékin
installe un drapeau à sa fenêtre, le 23 avril 2008.
PÉKIN, SHANGHAÏ, CORRESPONDANTS
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2008/04/24/comment-les-etudiants-chinois-jugent-la-france_1037955_3216.html#ens_id=1020806
Les autorités chinoises continuent de s'employer à calmer, par médias interposés, les ardeurs "patriotiques" de manifestants anti-occidentaux - et anti-français - qui ont exprimé leur colère dans les rues de plusieurs villes de Chine ces derniers jours. Mais la ferveur nationaliste ne retombe pas pour autant sur Internet : le portail Sina.com a recueilli près de huit millions de signatures d'internautes pour défendre "l'appartenance du Tibet à la Chine" et "la protection de la flamme olympique" durant son voyage à travers le monde.
Des témoignages, recueillis mardi 22 et mercredi 23 avril dans deux universités à Pékin et à Shanghaï, montrent cependant que les commentaires vengeurs exprimant la colère des plus radicaux ne reflètent pas forcément les sentiments de toute une génération d'étudiants : ces derniers critiquent la France, se disent patriotes, mais se gardent de sombrer dans un nationalisme extrême.
Au hasard des rues de l'immense campus de l'université de Pékin (Beida), un jeune couple confie ses impressions au lendemain de l'élévation du dalaï-lama au rang de "citoyen d'honneur" de la Ville de Paris par Bertrand Delanoë : "Il ne faut pas politiser les Jeux olympiques, c'est une erreur, explique Li Jinging, étudiante en journalisme. La décision du maire de Paris montre aux Chinois que les Français soutiennent le dalaï-lama."
"Mais les autorités chinoises et leurs médias, poursuit Li Jinging, n'ont pas été capables jusqu'à présent de donner à l'étranger une bonne image de la Chine : le gouvernement a décidé de fermer les frontières du Tibet aux journalistes et même si ça ne signifie pas qu'il se passe des choses terribles là-bas, cela montre la difficulté qu'ont les autorités à communiquer avec le reste du monde."
Plus loin, un autre couple, qui marche enlacé dans une allée discrète, dit "comprendre les différences de système entre la Chine et la France". "Moi, affirme la jeune fille qui ne donnera pas son nom, je sais que Sarkozy et Delanoë n'appartiennent pas au même parti. Je suis l'actualité de près. Mais pour le reste des Chinois, la politique française vis-à-vis de la Chine est incompréhensible." Et le boycottage de Carrefour ? Les deux adolescents - il est étudiant en physique, elle en micro-électronique - secouent la tête : "Non ! Boycotter ne sert à rien. On vit à l'époque de la mondialisation. Et puis ce sont des Chinois qui travaillent à Carrefour !"
Plus loin, un jeune homme anonyme glisse furtivement que la "politisation des Jeux olympiques" par les Occidentaux ne justifie pas que "la Chine en fasse un incident diplomatique", avant de s'éloigner d'un pas pressé.
Une étudiante en psychologie, qui vient de voir un débat consacré aux relations franco-chinoises sur la chaîne de télévision hongkongaise Phoenix TV, remarque que "cette question intéresse beaucoup d'étudiants. Autour de moi, observe-t-elle, de nombreuses voix très radicales s'élèvent contre la France".
Les incidents durant le passage de la torche à Paris et les déclarations de Nicolas Sarkozy évoquant la possibilité de ne pas assister à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques (JO) de Pékin ont provoqué l'indignation dans une grande partie de l'opinion publique chinoise éduquée des grandes villes.
L'étalage sans complexe de ce nationalisme est cependant surtout le fait de la nouvelle génération : nés dans les années 1980, après le début de l'ouverture de la Chine au monde extérieur, passés à l'âge adulte dans un environnement bien plus favorable aux débats que leurs aînés, mieux éduqués et plus familiers qu'eux des nouvelles technologies, les jeunes réagissent au quart de tour à tout ce qui peut porter atteinte aux Jeux olympiques. "C'est une génération qui a grandi avec une idée différente de la Chine, et pour qui les JO sont un symbole fort. Ce sont leurs JO", estime le responsable d'un grand groupe français à Shanghaï.
Sur le campus de la China Eastern University de Shanghaï, Guo Ming estime que "ce qui s'est passé à Paris, c'est comme si vous aviez joué de la musique d'enterrement lors d'un mariage auquel vous auriez été invités".
Violet Shen, qui étudie l'anglais, parle avec un remarquable accent américain et dit lire la presse étrangère, ne comprend pas ce que les Occidentaux reprochent à la Chine au Tibet : "Regardez comment les Chinois vivent aujourd'hui. On peut dire que notre vie est merveilleuse. Essayez d'imaginer comment était la Chine il y a cent ans, les changements qui ont eu lieu sont gigantesques."
Le front de la colère n'est pas aussi uni qu'il n'y paraît. Le jeune écrivain et coureur automobile Han Han s'est exprimé sur son blog contre le boycottage de Carrefour, fustigeant des actes qu'il juge "pathétiques". "Certaines personnes cherchent des noises à un supermarché ! Et tiennent pour des traîtres tous ceux qui ne font pas comme eux !", écrit-il avant d'interroger : "Pourquoi donc notre patriotisme est-il si fragile et si superficiel ?"
Sur le campus, un groupe de jeunes vend des tee-shirts sur lesquels apparaît le logo de MSN, suivi d'un coeur, et de "China" - une référence à l'affichage par des millions de Chinois de ces symboles au côté de leur nom tel qu'il apparaît quand ils sont en ligne sur le service de messagerie instantanée. Grands, bronzés et particulièrement joviaux, ils expliquent dans un anglais parfait qu'ils ont vécu quinze ans aux Etats-Unis.
Un peu plus tard, des policiers accourent et s'enquièrent de leurs noms et numéros de téléphone. "Ont-ils parlé de Carrefour ?", demandent-ils, ajoutant à notre attention, quand on leur dit être français : "Ne vous inquiétez pas, tout est sous contrôle."
Bruno Philip et Brice Pedroletti
Article paru dans l'édition du 25.04.08.
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